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03/06/2015

'Ex Machina' : le techno-business contre l'humain

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Le film d'Alex Garland, nouveau symptôme d'époque :


 

 

Ex Machina sort en salles. Le titre du film pop du réalisateur britannique Alex Garland joue évidemment sur la formule théâtrale Deus ex machina (« dieu issu de la machine ») qui désignait la mise en scène consistant à faire descendre des cintres le personnage d'un dieu. Dans ce film, c'est la machine elle-même qui constitue l'opération « divine » en devenant plus ou moins humaine...

Résumons le scénario : il est censé montrer ce que les money-makers de Silicon Valley appellent le « moment de singularité », c'est-à-dire le seuil au-delà duquel l'intelligence artificielle va dominer l'humain. Un milliardaire scientifique, dont la fortune incalculable a été produite par un algorithme inventé et implémenté par lui quand il était adolescent (!!!), a construit un robot humanoïde de genre féminin. Il l'a nommée « Ava » : Eve... Le milliardaire convoque alors le programmeur* le plus performant d'une multinationale du Net, et l'utilise pour faire passer à la robote** un test de Turing : opération visant à savoir si l'intelligence de ladite robote est toujours artificielle, ou si elle ne devient pas un peu humaine (donc surhumaine puisque tellement plus performante) en vertu de l'inéluctable « moment de singularité ».

On apprend au passage que le milliardaire a créé l'intelligence artificielle de la robote « sur la collecte de toutes les conversations téléphoniques passées sur les portables équipés de son système d'exploitation », ce qui devrait donner des idées à M. Cazeneuve... Mais le côté « vaudeville » du scénario – comme dit Thomas Sotinel dans Le Monde – est que la robote a été fabriquée ravissante pour que le jeune geek en tombe amoureux : si cela se produit, c'est que l'ère des robots commence.

Le film est-il bon ? est-il mauvais ? Question de goût, mais l'essentiel n'est pas là. Il est dans la nature, si j'ose dire, du fantasme proposé au spectateur comme horizon désormais patent. Garland arrive après d'autres réalisateurs : Spielberg (Artificial Intelligence AI), Wally Pfister (Transcendance), Joss Whedon (Age of Ultron). C'est que l'idée est dans l'air. Garland la tire dans le sens sexuel : on va fabriquer des robotes irrésistibles, qu'adviendra-t-il des femmes réelles ? Si le public y est sensible nous aurons des robotes dans Cinquante nuances de Grey 2, et des fureurs LGBT accuseront Garland de réintroduire le déterminisme de genre par le biais de la technologie. Encore que... Quand l'intelligence articificielle aura submergé l'humain, les robots évolueront à la vitesse de la lumière et se reprogrammeront très bien tout seuls pour se faire bi, trans et – forcément – queer.

Ce côté éroto-électronique est-il l'essentiel ? Non. L'essentiel est la tendance générale : la certitude (implantée dans nos esprits depuis dix ans) que l'humain se démode. D'où vient cette certitude ? Du système économique. L'humain n'est plus rentable. Il faut le salarier, il tombe malade. Il a des humeurs. Il fait des burn-out... Le robot n'en fait pas : il est infatigable ! Et tellement plus performant ! En fonction du seul critère décisif, le profit, l'avenir du capitalisme est dans la robotisation. Selon le rapport Frey-Osborne (Oxford), 47 % des salariés américains et 147 millions de « travailleurs du savoir » dans le monde vont perdre leur emploi. C'est ça qui se cache derrière le slogan discret de « la croissance sans emplois » ? Oui, c'est ça. L'argent n'aura plus besoin des gens.

 

_______________

* interprété par le trentenaire rouquin Domhnall Gleeson (qui joua le jeune Bill dans Harry Potter).

** l'actrice suédoise Alicia Vikander.

 

 

Le programmeur  (à gauche) et le milliardaire... 

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